Lettre ouverte à madame la ministre de la santé
Lettre ouverte à madame la ministre de la santé
Objet : Système de santé mentale, dénoncer l’absence de dialogue « systémique » entre les responsabilités médicales et l’entourage.
Madame la ministre,
Je suis veuf depuis le 15 novembre 2017, ma femme est décédée à notre domicile des suites d’une alcoolisation massive. Notre combat contre son addiction sévère à l’alcool et sa dépression a duré plus de 9 ans. J’ai toujours pris soin de me présenter comme son compagnon aimant et aidant.
Vouloir dire en quoi l’absence de dialogue avec les responsabilités médicales qui ont gérés les épisodes de soins de ce parcours (l’ EPSM de secteur, les services d’hospitalisation de jour associés et l’UMP , les centres de postcure , une clinique privée) a rendu encore plus insoutenable mon impuissance tout au long de ce parcours.
Enumérer ici quelques épisodes et comportements pour éclairer mon propos.
Combien d’ordonnances sans jamais la moindre information sur les bénéfices attendus , les changements, les effets secondaires et la dangerosité des surdoses éventuelles ou de l’arrêt brutal.
Ces injonctions et rappels qui accompagnent le maintien à distances :
Vous n’êtes pas soignant (donc vous n’y pouvez rien), protégez-vous et protégez vos enfants (3 garçons de 16, 19 et 21ans aujourd’hui), ne transformez pas vos enfants en sentinelles, nous savons votre co-dépendance…
Ces situations parmi tant d’autres qui m’ont traumatisé :
1er contact avec l’hôpital de jour à qui je demandais de me confirmer la présence de ma femme à son rendez-vous : « nous ne donnons pas ces informations ».
La longue liste de mes recours aux services d’urgences pour hospitaliser ma femme lors de ses alcoolisations massives (>4 g), me laissant à moi seul cette responsabilité, alors que ma femme se présentait dans le même temps fortement alcoolisée en hôpital de jour ou que j’avais alerté les équipes soignantes de ses alcoolisations croissantes.
Les hospitalisations sous contraintes que j’ai dû demander.
Les procédures d’exclusion express des centres de postcure suite à la consommation d’alcool où la « personne à prévenir » n’a le droit qu’à l’inquiétude (alcoolisation massive dans un hôtel, où j’ai pu la rejoindre en urgence (200 Km) et vider une autre bouteille de whisky encore au 3/4 pleine). La dangerosité des comportements d’alcoolisations massives de ma femme était-elle clairement identifiée dans les documents de transmission entre les établissements ?
« Connaissez-vous le syndrome de Korsakoff », question posée aux urgences par un soignant sans le moindre dispositif d’annonce.
Inquiet pour la sécurité de ma femme qui s’alcoolisait sévèrement à chaque sortie au cours de sa cure, j’ai sollicité une médiation pour rencontrer le médecin. Dans le cadre de cette démarche le médecin médiateur de l’EPSM m’a reçu à son poste de travail de chef de service au sein de l’Unité pour Malades Difficiles, j’en suis sidéré encore aujourd’hui.
Le secrétariat du médecin en charge du séjour de ma femme contacté dans le cadre formel de cette médiation qui ne m’a jamais rappelé suite à ma demande de rendez-vous. Ce médecin est également chef du service intersectoriel d’addictologie. Je suppose que cette demande de médiation a été classée sans suite.
C’est pour ma part en ne cachant rien à nos enfants que j’ai essayé de les protéger. Handicapé physique, j’ai eu de trop nombreuses fois recours à l’aide de mon fils ainé pour m’aider à sécuriser et à coucher sa mère.
Que dire de ma culpabilité et comment vous faire apprécier la douleur, l’incompréhension et la solitude qui accompagne ce parcours.
Je me refuse à mettre un point final à ce combat silencieusement.
J’ai donc demandé et obtenu la copie intégrale des dossiers médicaux de tous les établissements ayant participé à la prise en charge de ma femme. Je me tiens à disposition pour être le « conjoint traceur » de ce parcours de vie. Souhaitant ainsi alimenter les CREX et EPP de nombreux médecins et soignants pour je l’espère faire évoluer cette situation.
Du point de vue des usagers, le changement de paradigme observé aujourd'hui à propos de " la famille, passée d'un modèle pathologique, pathogénique et dysfonctionnel à un modèle de compétence ", s'il signifie quelque chose d'important dans l'ordre de la solidarité silencieuse, leur ouvre une place au titre de collaborateurs réels, incontournables, à l'évidence en position de responsabilité, de compétence, donc de partenariat potentiel. Extrait de : « La contribution des usagers à la politique de santé mentale » publication de l’ARSAAP 11/2001
Pour conclure j’interpelle le système par cette affirmation :
Seule la volonté des responsabilités médicales à initier et maintenir un dialogue continu avec l’entourage peut faire la différence entre un ensemble d’épisodes de soins discontinu et un parcours de soins sécurisé au mieux.
J’espère que vous pourrez excuser les maladresses de cette démarche et je vous prie d’agréer madame la ministre l’expression de mes sentiments respectueux.